Pour se poser des questions

Revue de textes réunis par le Dr Christophe Marx à partir de la littérature médicale récente

En mars 1992, un homme de 29 ans, médecin à l’Harvard School of Public Health de Boston, est hospitalisé pour une pneumonie à Pneumocystis carinii. La sérologie VIH est positive, l’infection remontant probablement à 1986. Lors de cette première infection opportuniste les CD4 sont à 20/mm3.

En octobre 1992, apparaît un sarcome de Kaposi du palais avec dissémination pulmonaire à partir de 1994. Cette atteinte tumorale nécessite alors une chimiothérapie par danorubicine liposomale. Grâce à ce traitement, poursuivit toute l’année 95, le sarcome de Kaposi est en rémission. Cependant, cette thérapeutique entraîne des épisodes de leucopénie et d’anémie profondes qui impose la mise en route d’un traitement au long cours par érytropoïétine (EPO). Fin 1995, l’apparition d’une dyspnée conduit à la découverte d’une insuffisance ventriculaire gauche (IVG) majeure avec fraction d’éjection en dessous de 25 % (normale : 75 %). Cette cardiomyopathie dilatée étant attribuée à l’effet cardio-toxique de la danorubicine, cette chimiothérapie est interrompue et remplacée par du paclitaxel.

Un taux de CD4 à 0

Durant cette phase de la maladie, entre 1993 et 1995, malgré des traitements anti-rétroviraux par analogues nucléosidiques, plusieurs autres infections opportunistes se développent et doivent être traités par des antibiotiques et des antiviraux spécifiques au long cours (mycobactérioses atypiques, infection digestive à cytomégalovirus).
Alors que son taux de CD4 était de 0 en avril 1994, le malade bénéficie d’une trithérapie anti-rétrovirale comportant une anti-protéase dès le mois de juin 1995. Grâce à cette nouvelle prise en charge, l’ARN viral disparaît du plasma (moins de 50 copies par ml) et les CD4 remontent au dessus de 250/mm3 à partir d’octobre 1996. La chimiothérapie anti-cancéreuse peut être interrompue et aucune infection opportuniste ne survient dans la suite de l’évolution.

Une contre-pulsion aortique

Cependant, malgré cette amélioration spectaculaire de l’état infectieux du malade, l’IVG se dégrade avec une fraction d’éjection devenant inférieure à 10 % imposant un traitement au long cours par dobutamine intraveineuse en continu à partir d’octobre 1999.
Le 15 janvier 2001 le malade est inscrit sur la liste d’attente des transplantations cardiaques de la Cleveland Clinic. L’état cardiologique du patient se dégradant, une contre-pulsion aortique est mise en place pour attendre la greffe qui ne sera pratiquée que le 4 février 2001.

Les deux années qui suivent la greffe sont marquées par une amélioration immédiate de la fonction cardiaque avec amélioration progressive de la capacité fonctionnelle. Sous tri-thérapie anti-rétrovirale aucune infection opportuniste n’est survenue ni aucune récidive du sarcome de Kaposi. Le traitement immunosuppresseur par ciclosporine a été particulièrement difficile à équilibrer en raison des interférences pharmacocinétiques majeures avec le ritonavir. Une modélisation mathématique individuelle de la biodisponilibilité de la ciclosporine sous ritonavir a du être spécialement mise au point pour fixer la posologie de l’immunosuppresseur pour ce malade.

Six épisodes de rejet prouvés par biopsie endomyocardique ont dû être traités durant la première année post-opératoire.
Au cours de l’année 2002, est réapparue une anémie sévère résistante à l’EPO qui n’a pu être contrôlée que par des transfusions toutes les deux à trois semaines.

Le malade a repris son activité médicale à temps plein.

Très au delà de son caractère extraordinaire, cette observation publiée dans le New England Journal of Medicine est exemplaire à plus d’un titre.

D’une part l’auteur principal de la publication n’est autre que le malade lui-même. Malgré les innombrables épreuves qu’il a subies depuis 1992, Robert Zackin, a toujours participé à l’élaboration de ses traitements en collaboration avec les meilleures équipes de sidénologues, de cancérologues, de cardiologues, de chirurgiens et de pharmacologistes qui se sont penchées sur son cas. Il a en particulier joué un rôle essentiel dans la décision de transplantation qui était contestée par de nombreuses équipes. Comme le rappelle l’éditorialiste du New England, l’histoire de R Zackin souligne une fois de plus que les progrès accomplis dans la prise en charge de l’infection à VIH ces dernières années, sont dus, non seulement au travail des cliniciens et des chercheurs, mais aussi à l’implication des malades eux-mêmes qui ont su faire reculer les limites de l’impossible.

D’autre part cette observation isolée est à rapprocher des excellents résultats obtenus avec les transplantations rénales et hépatiques chez des malades sélectionnés infectés par le VIH, les taux de survie à un an étant très proches de ceux des patients séronégatifs. Selon M Roland, compte tenu de l’amélioration de l’espérance de vie sous multithérapie, la prise en charge des sujets infectés par le VIH doit se rapprocher de celle de la population générale en cas de défaillance organique grave, la transplantation devant être considérée comme une option raisonnable.

Enfin, et peut-être surtout, le cas Zackin, qui pourrait être sous-titré « Grandeur et illustration d’un acharnement thérapeutique raisonné », devrait redonner espoir et courage à des milliers de patients confrontés à des pathologies apparemment sans issue…et conforter les praticiens
dans la certitude de la noblesse de leur art.

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